Bail commercial et Covid19


Au regard des dispositions prises par le Gouvernement

Le samedi 14 mars 2020, un arrêté a interdit la réception de public dans les commerces non essentiels et ce jusqu’au 15 avril 2020.

 

Le 15 mars 2020 un nouvel arrêté a listé les commerces qui peuvent continuer à recevoir du public.

 

Le 16 mars 2020 un arrêté a renforcé les mesures déjà prises en restreignant le déplacement de toute personne en dehors de son domicile.

 

Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, le gouvernement a pris des ordonnances.

 

C’est ainsi que l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 précise le champ d’application des mesures applicables aux loyers commerciaux.

 

  • Qui cela concerne?

 

Les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020.

 

Le décret n°2020-371 du 30 mars 2020 institue les conditions cumulatives que doivent respecter ces personnes physiques et morales de droit privé afin de bénéficier du fonds de solidarité :

 

  • le début de leur activité doit se situer avant le 1er février 2020,
  • elles ne doivent pas se trouver en liquidation judiciaire au 1er mars 2020,
  • leur effectif doit être inférieur ou égal à 10 salariés,
  • leur chiffre d’affaire doit être inférieur à 1 million € lors du dernier exercice clos (pour les entreprises n’ayant pas encore clos d’exercice, le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros),
  • elles ne doivent pas être contrôlées par une Société commerciale,
  • leur bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, au titre de l’activité exercée, ne doit pas excéder 60 000 euros au titre du dernier exercice clos (pour les entreprises n’ayant pas encore clos un exercice, le bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant est établi, sous leur responsabilité, à la date du 29 février 2020, sur leur durée d’exploitation et ramené sur douze mois),
  • les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne doivent pas être titulaires, au 1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse et ne doivent pas bénéficier, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 euros,
  • lorsqu’elles contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales, la somme des salariés, des chiffres d’affaires et des bénéfices des entités liées respectent les seuils précédemment fixés.

 

Par ailleurs, ces personnes devront justifier :

 

  • soit d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020,
  • soit d’une baisse du chiffre d’affaires de 50% entre le chiffre réalisé entre mars 2019 et mars 2020 (ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2019, par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020)

 

  • Ces personnes peuvent-elles cesser le paiement de leur loyer?

 

Aucune suspension des loyers n’est prévue par l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020.

 

L’article 4 prévoit uniquement que les personnes ci-dessus énoncées ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.

 

Par conséquent, le paiement des loyers et charges est du. Néanmoins, en cas de non règlement  pendant la période précitée, la clause résolutoire ne pourra être acquise de sorte que cela revient à permettre aux personnes précitées de retarder le règlement des loyers et charges jusqu’à deux mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. Au-delà, la clause résolutoire pourra être acquise.

 

Dans pareil cas, il parait nécessaire que les locataires informent leurs bailleurs afin qu’ils puissent prendre leurs dispositions pour faire face à leurs propres obligations (remboursement d’un crédit par exemple).

 

Il y a, quoi qu’il en soit, fort à penser que des contentions vont naitre quant à l’interprétation du décret et de l’ordonnance précités.

 

La suspension des loyers peut-elle être justifiée par le critère de la force majeure?

 

 

Au regard du critère de force majeure

 

Le 28 février 2020, à l’issue d’une réunion avec les partenaires sociaux au ministère du Travail, Bruno Le Maire, ministre le d’Économie, a déclaré que le coronavirus était désormais considéré comme « un cas de force majeure ».

 

Néanmoins, le Gouvernement n’est pas Juge.

 

Il y a force majeure lorsque trois critères sont réunis (article 1218 du Code civil) :

 

  • l’événement doit échapper au contrôle du débiteur,
  • l’événement ne doit pas avoir été raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (imprévisibilité),
  • les effets de cet événement ne peuvent être évités par des mesures appropriées (irrésistibilité).

 

Il en résulte un empêchement de l’exécution de l’obligation par le débiteur.

 

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.

 

Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 du Code civil.

 

Eu égard à ce texte, la jurisprudence retient deux critères : l’imprévisibilité et l’irrésistibilité (le critère d’extériorité n’est désormais plus retenu).

 

L’imprévisibilité s’apprécie au jour de la conclusion du contrat.

 

L’on peut considérer que si le contrat a été conclu après le 1er janvier 2020, alors le critère d’imprévisibilité ne pourra être retenu puisque l’épidémie de Covid19 était déjà connue.

 

En revanche, pour un contrat conclu avant le 1er janvier 2020, cela est discutable.

 

S’agissant du caractère d’irrésistibilité, il doit rendre l’exécution du contrat impossible, c’est-à-dire que le bailleur ne peut régler le loyer. Là encore, cela est discutable puisqu’il pourrait être considéré que le locataire devait effectuer les démarches nécessaires pour régler les sommes dues (demande de prêt, report de charges etc…).

 

Il est à noter, par comparaison, que l’épidémie de H1N1 de 2009 n’a pas été considérée par la jurisprudence comme un cas de force majeure au motif suivant :

 

« Il convient de rappeler, en droit, que le cas de force majeure s’entend d’un événement imprévisible, irrésistible et insurmontable qui rend l’exécution de l’obligation impossible.

 

Tel n’est pas le cas de l’épidémie de grippe H1N1 qui a été largement annoncée et prévue, avant même la mise en œuvre de la réglementation sanitaire derrière laquelle la SARL X tente de se retrancher. » (CA Besançon, 8 janvier 2014, n°12/02291).

 

Par conséquent, la suspension des loyers dans le cadre d’un bail commercial n’est pas automatique et doit répondre aux critères précités qui sont appréciés au cas par cas par les Juges.

 

Maître Cécile ALFONSI
Avocat au barreau de Melun et Fontainebleau