Contrat de pension de cheval : obligations et responsabilités Cour d’appel de Poitiers 19 février 2019


Un cheval est donné en pension à un Centre Equestre. Il est convenu que la donation au Centre Equestre d’un autre cheval couvrira les frais de pension pendant 3 ans. A l’issue de la période de 3 ans, la propriétaire ne récupère pas son cheval, ne règle pas de pension et ne règle pas les frais d’entretien. Le Centre Equestre exerce son droit de rétention. Le Cheval décède au Centre Equestre d’une colique aigüe.

Le Centre équestre, dont la responsabilité en qualité de dépositaire avait été retenue en première instance, soutenait que la relation entre les parties était un contrat sui generis assorti d’une sureté, en l’espèce un droit de rétention « résultant du jugement du 13 février 2013 et de la loi« . [1]

La Cour n’a pas suivi cette argumentation en rappelant que «   le rétenteur comme le dépositaire ont l’obligation de conserver la chose, en l’espèce, héberger le cheval, pourvoir à ses besoins élémentaires, le soigner si nécessaire. »

En effet, en contrepartie du droit qu’il a de conserver le bien, la jurisprudence a institué l’obligation pour le rétenteur de prendre soin de la chose retenue[2], obligation moins sévère toutefois que celle du dépositaire.

La Cour d’Appel de POITIERS qualifie, comme le Premier Juge, la relation contractuelle de contrat de dépôt salarié.

 

Le contrat de pension dans lequel l’éleveur, assure moyennant rétribution, l’entretien d’un animal, s’analyse en un contrat de dépôt salarié.[3].

Le propriétaire déposant doit payer le prix des services rendus et le remboursement des dépenses nécessaires pour soigner les animaux et les conserver en bon état.[4] Le dépositaire a le droit de de retenir la chose, objet du dépôt, jusqu’à complet paiement des sommes dues à raison du dépôt .[5]

Le dépositaire a une obligation de garde, cause principale de la remise de la chose. [6]

Si un dommage survient, le dépositaire sera tenu d’une obligation de moyens renforcée. [7]La faute du gardien est présumée mais c’est une présomption simple.[8]

Donc, le déposant doit rapporter la preuve d’un dommage et le Centre Equestre doit prouver qu’il n’a pas commis de faute [9]ou rapporter l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure ou encore le fait du déposant à l’origine du décès de l’animal.[10]

La propriétaire du cheval Uhtson établissait l’existence d’un dommage puisque le cheval était décédé alors qu’il était sous la garde du Centre Equestre.

Le Centre Equestre contestait avoir commis une faute en soutenant que l’état de santé du cheval excluait qu’il soit mis au pré et que la colique aigue n’était pas prévisible.

La propriétaire répliquait que le cheval avait été maltraité et produisait un témoignage d’une stagiaire du Centre Equestre disant que le cheval était maintenu au box sans sortir au point qu’il montrait des signes de stress important, que le box était sale  et que le cheval n’était plus vacciné depuis des années.

Si ces faits n’avaient pas été poursuivis comme maltraitance sur le plan pénal pour « infraction insuffisamment caractérisée », rien n’empêchait qu’ils soient retenus comme faute par le Juge civil.

La Cour au regard des pièces médicales considère qu’il n’était pas prouvé que le dommage (colique aigue) était « prévisible ». Pourtant, on peut s’interroger sur le risque de colique d’un cheval qui ne sort pas de son box…. Le Centre équestre ne contestait pas que le cheval n’était pas sorti. Or, si la pathologie du cheval (cheval bégu) l’empêchait de s’alimenter seul au pré, elle ne l’empêchait pas de sortir du box.

La Cour retient toutefois que la responsabilité du Centre Equestre est engagée, mais d’une part, parce qu’il ne rapporte pas la preuve qu’il a apporté au cheval les soins nécessaires et particuliers que nécessitaient sa pathologie,[11] et d’autre part, parce qu’il n’a pas informé le propriétaire avant le décès pour lui permettre de donner son avis quant aux soins à apporter, et après décès pour lui permettre de pratiquer une autopsie.

Le Premier Juge qui avait conclut à la responsabilité du Centre Equestre, avait indemnisé le propriétaire sur le fondement de la perte de chance de décider d’une opération.

Après avoir retenu la faute du dépositaire, la Cour de manière inattendue, rejette la demande indemnitaire de la propriétaire et la demande en remboursement de frais du déposant.

La Cour dit qu’elle « constate l’existence de manquements réciproques des parties, dont les obligations sont interdépendantes« .

La notion d’interdépendance des obligations évoque l’exception d’inexécution. [12] L’exception d’inexécution est une situation d’attente qui suppose un manquement antérieur de son cocontractant.[13] Par définition elle ne peut pas être invoquée au bénéfice des deux contractants.

En l’espèce, il semble que la Cour ait cherché une motivation pour renvoyer dos à dos les deux plaideurs qui ont manqué à leurs obligations contractuelles l’un envers l’autre et manqué à leurs obligations à l’égard du cheval Uhtson.

Le Centre Equestre ne pouvait, pour sa part, soutenir que le cheval ne pouvait pas être sorti du box et ne pouvait ignorer les conséquences de ce confinement sur sa santé physique et mentale. Il ne pouvait tout à la fois revendiquer son droit de rétention et ne pas apporter les soins minimums exigés par la garde du cheval.

La propriétaire, qui connaissait nécessairement la malformation dont souffrait son cheval, n’a cependant pas réglé le coût de pension et les frais lui permettant de reprendre son cheval et lui donner les soins appropriés à son état.

En indiquant que les frais et dépens seront partagés par moitié, la Cour dit clairement que les responsabilités sont partagées dans la même proportion entre les parties.

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[1]  Art. 2286 Peut se prévaloir d’un droit de rétention sur la chose:

3o Celui dont la créance impayée est née à l’occasion de la détention de la chose;

[2] (Cass. 1re civ., 4 juin 1971, n° 69-14.278 Cass. 1re civ., 7 nov. 2006, n° 05-12.429, n° 1554 F – P + B)

[3] ( Cass. 1re civ., 2 oct. 1980 : Bull. civ. I, n° 240 ; RTD civ. 1981, p. 405, obs. G. Cornu Cass. 1re civ., 10 janv. 1990, n° 87-20.231 : Bull. civ. I, n° 6 ; RTD civ. 1990, p. 517, obs. Ph. Rémy)

[4] Article 1947

La personne qui a fait le dépôt est tenue de rembourser au dépositaire les dépenses qu’il a faites pour la conservation de la chose déposée, et de l’indemniser de toutes les pertes que le dépôt peut lui avoir occasionnées.

[5]  (C. civ., art.  1948 Cass. 1re civ., 9 févr. 1988, n° 86-13.699)

Article 1948 du Code civil « Le dépositaire peut retenir le dépôt jusqu’à l’entier paiement de ce qui lui est dû à raison du dépôt. »

[6] L’article 1915 du Code civil le définit comme « un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à charge de la garder et de la restituer en nature. » et l’article 1921 du code civil précise que que « le dépôt volontaire se forme par le consentement réciproque de la personne qui fait le dépôt et de celle qui le reçoit »

[7] Article 1933

Le dépositaire n’est tenu de rendre la chose déposée que dans l’état où elle se trouve au moment de la restitution. Les détériorations qui ne sont pas survenues par son fait sont à la charge du déposant.

[8] Cass. 1re civ., 2 oct. 1980 : Bull. civ. I, n° 240 ; RTD civ. 1981, p. 405, obs. G. Cornu

[9] CA Paris, ch. 2-2, 26 sept. 2014, n° 13/09151

[10] (Cass. 1e civ., 29 janv. 2002, n° 99-19.316 – responsabilité d’une clinique vétérinaire)

[11] Article 1927

Le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.

saillie fortuite d’une jument de course par un cheval gardé (Cass. 1re civ., 5 janv. 1999, n° 97-13.793), nourriture saine, non contaminée (Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 89-13.534 : Bull. civ. I, n° 93 ; D. 1993), ( Cass. 1re civ., 30 mars 2005, n° 03-20.410, n° 643 F – P + B)

[12] Article 1219 

Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Article 1220 

Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais.

[13] (Com. 3 déc. 1979, no 78-12.368 , Bull. civ. IV, no 318)